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"Il faut s’attendre à la réintroduction du rite de saint Pie V"
Un entretien avec Michel Kubler, rédacteur en chef religieux du journal La Croix
Beaucoup
d’observateurs, durant la première année de son pontificat, ont
reproché au pape son silence. Et voici qu’en l’espace de quelques mois,
il se fait beaucoup entendre !
Et il se fait entendre sur des
choses importantes. Il y a d’abord eu la rencontre des familles à
Valence cet été, rencontre qui, pour moi, est un des signes majeurs du
changement de pontificat . Benoît XVI n’a rien condamné, il a tenu un
discours très positif . En Espagne, il a dit « oui » à la vie, « oui »
à la famille » et aimerait sans doute que ces paroles là soient
davantage entendues.
Puis, ensuite, il y a eu le malentendu ou le
quiproquo de Ratisbonne, même si on ne sait pas jusqu’à quel point
Benoît XVI a vraiment voulu parler de l’islam à la faveur d’un discours
beaucoup plus général sur foi et raison. Ce qui est sûr c’est que si on
prend au pied de la lettre son discours, on s’aperçoit qu’ il s’agit
d’une réflexion de haut vol, très articulée, très aride,
sérieuse…Comment savoir si, en choisissant ce fameux contre exemple ,
il n’ en a pas profité pour lâcher une petite torpille en direction des
musulmans ?
A
côté de ces discours, Benoît XVI a t-il pris les décisions que l’on
attendait, en particulier celles concernant des changements au sein de
la Curie ?
Oui. Il a changé de secrétaire d’état , son
collaborateur le plus proche, et a choisi, pour succéder au cardinal
Sodano, le cardinal Bertone. Ce dernier est un homme de confiance, avec
lequel il espère avancer vite, car il sait que le temps lui est compté.
Le cardinal Bertone n’est pas un diplomate, contrairement à l’usage.
C’est un intellectuel, un moraliste qui sait aussi agir au niveau
diplomatique. C’est lui qui, dans la controverse de Ratisbonne, a calmé
le jeu en envoyant les nonces dans le monde entier visiter les chefs
d’état pour expliquer les paroles du pape. C’est lui également qui a
réuni l’ensemble des ambassadeurs de pays musulmans à Castegandolfo. Il
a contribué grandement à calmer les choses . Mais cette nomination
n’est pas la seule. Benoît XVI met en place à de nombreux postes "des
gens à lui" Et il va continuer, à des postes qui lui semble sensibles,
notamment pour la liturgie.
On sait combien Benoît XVI est attaché à la liturgie. Pourquoi ?
Benoît
XVI porte depuis toujours ce souci. C’est une passion chez lui, qu’il
partage d’ailleurs avec son frère, prêtre à Ratisbonne et qui prend
racine loin dans le temps ! Après 1968, il a été choqué par la manière
dont la réforme liturgique était mise en œuvre. Il a eu le sentiment
que l’on transformait l’eucharistie en "casse-croûte fraternel" et que
l’aspect sacrifice du Christ était gommé au profit du repas amical. Ce
à quoi tous les théologiens de l’eucharistie répondront que c’est les
deux à la fois ! L’eucharistie noue dans un même mystère celui du Jeudi
saint et celui du Vendredi saint. Pas étonnant qu’une tension coexiste
! Dans les années 70, il est vrai que l’on a mis beaucoup l’accent sur
la dimension conviviale de l’eucharistie. C’était plus « l’Eglise qui
fait l’eucharistie que l’eucharistie qui fait l’Eglise » comme le
disait le père de Lubac. Il est sûr que cette tension existera toujours
!
Ce souci
de la liturgie explique t-il la réintégration dans le diocèse de
Bordeaux d’un groupuscule intégriste sous le nom de l’Institut du Bon
Pasteur ?
Cette décision, qui date du 8 septembre dernier, a
fait beaucoup de bruit. Mgr Ricard a du mal à faire accepter cela à son
clergé et à son diocèse. Le siège de cette société dite apostolique et
de droit pontifical n’a de compte à rendre qu’à Rome pour ses questions
internes, mais dans l’exercice de son ministère elle relève de l’évêque
du lieu. Mgr Ricard appelle donc ses diocésains à être accueillants et
à avoir en même temps le souci de la charité et de la vérité. Il est
vrai que Benoît XVI prend à rebrousse-poil un certain nombre de
catholiques, aussi bien dans le clergé que parmi les fidèles.
Dans
la lignée de cette décision, il faut s’attendre, on ne sait encore sous
quelle forme ni à quelle échéance, à la réintroduction du rite de saint
Pie V, le rite du concile de 30. Ce rite serait réintroduit comme rite
extraordinaire à côté de celui de Vatican II. Tout prêtre qui voudrait
célébrer ce rite pourrait le faire sans autorisation spécifique de
l’évêque. Aujourd’hui, célébrer selon le rite de saint Pie V est
strictement réglementé. Les nouvelles dispositions que Benoît XVI
aimerait rendre publiques, d’ici Noël sans doute, diraient que tout
prêtre peut célébrer cette messe et que toute communauté y a droit.
Cette décision aura t-elle des conséquences sur la vie des communautés chrétiennes ?
On
peut s’attendre à des tensions et il s’agira de voir comment ne pas
faire éclater les communautés. Cette disposition instaure le
bi-ritualisme dans l’Eglise catholique, ce qui n’est jamais très bon
car cela instaure deux Eglises dans une. Cela aura en outre un gros
impact dans des pays où il y a des communautés traditionalistes assez
fortes : la France mais aussi l’Allemagne, la Suisse, la Belgique,
l’Espagne, les Etats-Unis et une partie de l’Amérique Latine. Même si
les groupes ne sont pas nombreux, ils sont agissants et savent faire du
bruit. Ils vont crier victoire. Mais, encore une fois, il faut attendre
quelle forme cette décision prendra.
Cette décision, si elle intervient, vous inquiète t-elle ?
Ce
qui met mal à l’aise c’est que Benoît XVI conserve la même hantise que
lorsqu’il était cardinal. Est ce vraiment en tant que pape , en ayant
le souci de la communion dans l’Eglise, qu’il va promulguer une telle «
réforme de la réforme » ? Va t-il agir en tant que théologien ou en
tant que pasteur ? J’aimerais être sûr que la décision qu’il prendra
soit dépassionnée et propre à ne pas raviver les passions dans
l’Eglise. Autrement dit à ne pas faire plus de mal que de bien. Je
nourris quelques craintes à ce sujet là.recueillis par Sophie de Villeneuve