Sur le bateau emprunté par notre groupe pour traverser le lac de Tibériade (appelé aussi mer de Galilée), nous avons rencontré par hasard le père dominicain Jean-Michel Poffet, qui dirige l’École biblique et archéologique française de Jérusalem (à laquelle on doit la « Bible de Jérusalem »…). Ce religieux conciliaire, très cultivé et connaissant bien la Terre Sainte, nous a dit en substance :
« Quand on arrive pour la première fois dans ce pays, on se dit : “Je vais écrire un livre”. Un an après, on se dit : “Je pourrais peut-être écrire un article”. Trois ans après, on commence à écrire un paragraphe et on s’arrête ».
Est-ce dû à la culture du doute et du relativisme qui a envahi l’Église conciliaire ? Peut-être en partie, si l’orateur voulait parler seulement de religion… Il n’empêche que la Terre Sainte est en effet d’une complexité impressionnante. Comment pourrait-il en être autrement à cet endroit précis du monde où le Dieu trine et unique S’est fait connaître des hommes il y a des milliers d’années, où – il y a deux mille ans – le Verbe Incarné a affronté, combattu et vaincu celui qui est menteur, père du mensonge et homicide depuis le commencement, où la Vérité est sans cesse aux prises avec l’erreur, où Notre-Seigneur reviendra en gloire pour juger les vivants et les morts ?
De fait, mieux vaut arriver sur place armé d’une foi solide, d’une bonne connaissance des vérités chrétiennes… et d’un minimum d’imagination. Car il faut compter avec l’inévitable submersion des lieux saints sous l’écume religieuse et profane des siècles : basiliques, sanctuaires, mosquées, habitations palestiniennes, explosion démographique, « boom » de la promotion immobilière (qui est en train de bétonner les collines de Jérusalem), « mur de la honte », etc. En outre, le spectacle affligeant – à Jérusalem – des bisbilles entre communautés chrétiennes a de quoi désorienter si l’on perd de vue qu’il n’existe qu’une Église dans laquelle nous puissions nous sauver (Extra Ecclesia, nulla Salus) et qu’elle devra combattre jusqu’au bout les hérésies nées à sa périphérie au fil des siècles, tout comme celles qui – depuis quarante ans – sévissent de plus en plus en son sein même. Il faut surmonter toutes ces difficultés pour avoir accès aux trésors spirituels de la Terre Sainte.
NAZARETH
La basilique de l’Annonciation est un bâtiment imposant qui date de la moitié du vingtième siècle. C’est la plus grande église d’Orient. Mais son principal intérêt n’est pas là. Il tient à l’existence, en sous-sol, de l’étage inférieur de la maison où Marie a grandi, où elle a reçu la visite de l’ange Gabriel et où elle a prononcé devant lui son fiat décisif. En 1291, l’étage supérieur fut transporté miraculeusement à Tersatto, en Dalmatie, les croisés venant d’être chassés de Terre Sainte. Puis, en 1294, comme les musulmans approchaient de la Dalmatie, la maison où le Verbe S’est fait chair fut à nouveau soustraite à leurs profanations et finit son périple à Loreto, en Italie, où elle se trouve encore aujourd’hui. Il est très émouvant de se recueillir dans ce sous-sol, où l’on voit l’amorce de l’escalier menant à l’étage supérieur aujourd’hui absent. L’autel érigé là porte les mots « Verbum Caro hic factum est ». C’est évidemment un des hauts lieux du pèlerinage. Il faut pouvoir s’y rendre tôt le matin, quand la ville dort encore, ou tard le soir, lorsque les derniers cars de pèlerins et (ou) de touristes ont rendu leurs cargaisons aux hôtels de la ville. Nous avions cette chance, car le couvent des sœurs de Nazareth, où nous étions hébergés, se trouve à cent mètres de là. Tota pulchra es, o Maria, et macula non est in te !
J’ai appris, depuis, que quinze jours avant notre pèlerinage, trois Juifs religieux – un homme, sa femme et sa fille – avaient été arrêtés pour avoir lancé des pétards et du gaz dans la basilique après y être entrés déguisés en pèlerins chrétiens, provoquant une panique et même un début d’incendie : le Vatican, gardien des lieux, a-émis-une-vive-protestation, mais il serait étonnant que cessent pour autant les prosternations épiscopales ou papales dans les synagogues… ou ailleurs.
(à suivre)