A lire jusqu'au bout pour le fun.
Curés venus d'ailleurs
LE MONDE | 24.12.07 | 15h19 • Mis à jour le 24.12.07 | 15h19
MIRAMONT-DE-COMMINGES (Haute-Garonne) ENVOYÉE SPÉCIALE
Il a beau s'avancer dans l'allée centrale, au plus près des fidèles, ponctuer son homélie de grands gestes, rien n'y fait. En ce dimanche de novembre le Père Roger Atta, ne parvient pas à réchauffer l'atmosphère de la petite église aux ors clinquants de Pointis-de-Rivière (Haute-Garonne). L'intérieur reste glacial, et pas seulement parce que le chauffage ne fonctionne pas : seuls une vingtaine de paroissiens assistent à la messe dominicale, la deuxième de la matinée pour ce prêtre ivoirien, responsable depuis un an d'un secteur de onze paroisses rurales nichées dans les méandres de la Garonne.
En début de matinée, à une dizaine de kilomètres de là, Roger Atta, précédé de trois servants d'autel en aube, a fait une entrée plus solennelle dans l'église de Miramont-de-Comminges. Il y a délivré un office appliqué et "empreint d'une grande dévotion", selon un paroissien.
Dans ce village de 800 habitants, les fidèles ne se sont pas longtemps formalisés de l'origine de leur curé, et ne tarissent pas d'éloges sur "Père Roger". "Il est très chaleureux", reconnaît Claudette Modolo, une paroissienne de 70 ans qui assiste à la messe de neuvaine pour sa mère récemment disparue. "On est surtout contents d'avoir un prêtre, vu la pénurie, résume Michel Bourhous, adjoint au maire. L'effet de surprise a été compensé par sa gentillesse."
Précis en toutes choses, le Père Atta choisit ses mots. Lui ne se souvient pas de "surprise" à son arrivée en France en 2003. "L'Eglise est universelle, plaide-t-il dans un langage ecclésiastique bien rôdé, seule sa coloration est différente selon les endroits. Dans mes prêches, j'ai juste dû revoir certaines de mes expressions, car les exemples que je donnais ne parlaient pas aux gens."
Aujourd'hui, tout empli de sa "mission", il ne s'étonne pas de grand-chose : ni de l'âge de ses fidèles, largement supérieur à celui de ses paroissiens africains, ni de leur apparente passivité. "Parfois, faute de chanteur, il faut mettre une cassette pour animer la messe", regrette-t-il seulement, songeant avec nostalgie aux nombreuses chorales qui, dans les paroisses de Côte d'Ivoire, se disputent, chaque dimanche, l'honneur d'animer la messe.
Comme un millier de prêtres étrangers, africains pour la plupart, présents dans les paroisses françaises, Roger Atta tente de revitaliser une Eglise vieillissante, confrontée à une insuffisance persistante de prêtres. Grande pourvoyeuse de missionnaires durant des décennies, l'Eglise de France reçoit aujourd'hui "ce qu'elle a semé", selon l'épiscopat.
Dans ce flux missionnaire inversé, les diocèses trouvent leur compte, et l'Eglise française espère avec ce sang neuf susciter des vocations auprès des jeunes Français. En quête de nouveaux modèles, l'épiscopat découvre aussi avec intérêt les témoignages d'Afrique qui racontent "la vitalité de communautés de laïcs où le prêtre ne passe qu'une fois par an".
Mais, depuis cinq ans, la présence croissante de ces jeunes prêtres étrangers s'inscrit dans le paysage de manière un peu anarchique. Alertée par certains évêques qui constatent une "proportion importante" de curés étrangers dans les équipes pastorales, la Conférence des évêques de France vient d'entreprendre un état des lieux...
"Si, aujourd'hui et maintenant, le service à rendre est ici, c'est comme ça. Il ne faut pas en conclure que l'Afrique vient évangéliser la France", défend pourtant Aubin Mouyoula, prêtre originaire du Congo-Brazzaville, installé dans le Rhône et confronté comme certains de ses collègues à des remarques sur l'évangélisation-colonisation de l'Europe par l'Afrique.
A l'image d'une partie de ces curés venus d'ailleurs, le Père Aubin a été envoyé en France par son évêque pour poursuivre des études. Dans un premier temps, en échange de l'accueil qu'ils reçoivent dans les paroisses, les nouveaux venus donnent un peu de leur temps à la mission pastorale. Mais, bien souvent, au fil des années, les responsabilités qui leur sont confiées s'accroissent, et le retour au pays d'origine est différé.
Arrivé en France en 2001 pour préparer, "en trois ans", un doctorat en sciences politiques, le Père Aubin vient d'être nommé curé à Saint-Priest (Rhône), après avoir officié trois ans à mi-temps dans une paroisse de Vénissieux ; il ne devrait pas rentrer dans son pays avant six ans.
En France depuis 2001, Sylvain Kikwanga, originaire de la République démocratique du Congo, laisse, lui aussi, à son évêque le soin planifier son retour. Vicaire à la cathédrale Saint-Etienne, en plein coeur de Toulouse, il "aime vivre ici". "Lorsque l'on arrive d'un pays paumé, explique-t-il, on a l'impression de découvrir l'Eldorado." Même si, précise-t-il, "un prêtre ne doit être motivé ni par la faim ni par la soif".
Selon leur expérience, tous n'encaissent pas de la même manière le choc culturel.[/b] Venus de paroisses où la communauté chrétienne prend en charge le prêtre pour tous ses besoins quotidiens, les curés africains découvrent en France un rythme de vie soutenu, la solitude et l'autonomie. "J'ai dû apprendre à cuisiner ! Heureusement des chrétiens m'invitent de temps en temps : je ne saurais pas préparer 365 repas par an", sourit Roger Atta, qui vit seul dans le presbytère du petit village de Valentine.
"J'ai appris à ne pas être choqué par certains aspects de la société française, mais je ne partage pas la relative hypocrisie qui prévaut ici", confie Aubin Mouyoula. "Si je pense qu'une famille c'est un père, une mère, des enfants, je le dis, un point c'est tout", ajoute-t-il. "L'éclatement de la famille est un sujet qui les interpelle, confirme-t-on à l'épiscopat, de même que la question sociale. Beaucoup nous disent : "Comment se fait-il que les gens se plaignent tant dans un pays aussi riche ?""
Camerounais d'origine, Emmanuel Bidzogo est en France depuis plus de vingt ans. Curé aux Ulis (Essonne), il participe à l'accueil des prêtres étrangers dans le diocèse et constate leur surprise face à la faiblesse de la pratique régulière et à l'absence de confession. "Un Togolais s'étonnait récemment qu'après cinq mois de présence il n'avait encore confessé personne, alors que, chez lui, me disait-il, les gens viennent se confesser après chaque messe."
Sylvain Kikwanga, lui, tempère l'ampleur de ces découvertes. "A Kinshasa, les jeunes n'ont jamais assisté aux palabres sous un arbre et l'esprit citadin "divorcialiste" (sic) est le même qu'à Paris ! Là-bas on assiste à des liturgies envoûtantes, on prie avec le corps ; ici on sait bien que c'est différent !" De manière balbutiante, l'épiscopat s'efforce de baliser le terrain et fournit aux arrivants des clés sur l'histoire et la société françaises, la laïcité, Mai 1968 ou la présence de l'islam.
Stéphanie Le Bars
Article paru dans l'édition du 25.12.07.[u]