Les Croix et les victoires de saint Louis-Marie de Montfort
Extraits du livre « La mission providentielle du Bienheureux Grignon de Montfort... » (1898) par l'Abbé J.-M. Quérard
« Saint Vincent Ferrier avait annoncé, trois siècles à l'avance, ce grand serviteur de Dieu. Désolé à la vue d'un antique sanctuaire de la Vierge Marie, tombé en ruine, qu'il eût vivement désiré rétablir, il prédit à l'immense assemblé de ses auditeurs, dans une plaine de la Chèze, du diocèse de Saint-Brieuc, que "cette grande entreprise était réservé par le Ciel à un homme que le Tout-Puissant ferait naître dans les temps reculés; homme qui viendrait en inconnu; homme qui serait beaucoup contrarié et bafoué; homme cependant qui avec le secours de la grâce viendrait à bout de cette sainte entreprise." [...] Jusqu'ici cet homme prodigieux est cependant demeuré comme inconnu dans l'histoire. [...] "Il n'est pas étonnant que le bienheureux Louis-Marie de Montfort ne soit pas plus connu, car sa vie, bien qu'écrite par des hommes distingués pour la plupart, est peu répandue, attendu que ses congrégations ont toujours gardé le monopole de ses diverses biographies, et que les jansénistes ont mis grand acharnement et employé mille artifices pour ternir la gloire du serviteur de Dieu, et pour ensevelir dans l'obscurité et le silence sa renommée et sa mémoire.
(La plupart de ses biographes n'ont pas bien compris la mission spéciale de ce grand serviteur de Dieu : Ils ont dit que Montfort était un second Bernard pour sa piété envers la Très Sainte Vierge; un second Dominique pour prêcher, établir et propager partout le T.S. Rosaire; un second François pour son amour de la pauvreté et son abandon à la Divine Providence; un second saint Paul pour son amour de la croix, pour son zèle du salut des âmes, et pour sa brûlante ardeur à faire connaître, aimer et glorifier Jésus-Christ. Mais ils n'ont pas su ou paru savoir que sa règle invariable était d'aller constamment à Jésus par Marie, et que saint Louis-Marie de Montfort est le premier missionnaire de Marie, prophète et apôtre d'une nouvelle ère, celle du grand règne de Jésus et Marie dans le monde).
[...] La mission providentielle de saint Louis-Marie Grignion de Montfort en ce monde a été :
Premièrement, de prédire, préparer et prêcher le règne universel de Marie sur la terre, comme moyen choisi et voulu de Dieu pour étendre, universaliser le règne de Jésus-Christ.
Secondement, d'enseigner et de propager la parfaite dévotion à la Sainte Vierge, ou la parfaite consécration à Jésus par Marie, comme pratique nécessaire pour amener ce double règne de l'auguste Mère de Dieu et de son divin Fils.
Troisièmement, de combattre, par cette parfaite dévotion à la sainte Vierge, le jansénisme en France, l'impiété et toutes les erreurs du temps, principalement dans les provinces de l'Ouest, et d'y renouveler l'esprit du christianisme.
Quatrièmement enfin, de former par cette excellente dévotion un peuple parfaitement chrétien, essentiellement catholique, afin que le peuple vendéen pût servir de modèle aux autres peuples, dans les siècles à venir, en les invitant à recevoir et pratiquer une dévotion si admirable et si sanctifiante qui l'a rendu, lui, pauvre petit peuple ignoré, le plus chrétien, le plus héroïque et le plus célèbre du monde, aux jours de ses grandes épreuves.
[...] M. Blain, condisciple de Louis-Marie-Grignon de Montfort au collège des jésuites à Rennes et au séminaire de Saint-Sulpice à Paris, puis docteur en Sorbonne et chanoine de Rouen, écrit que "L'amour de Marie était comme né avec M. Grignon; on peut dire que la Sainte Vierge l'avait choisi la première pour un de ses plus grands favoris et avait gravé dans sa jeune âme cette tendresse singulière qu'il a toujours eue pour elle, et qui l'a fait regarder comme un des plus grands dévots de la Mère de Dieu que l'Église ait vus." [...] (Sur sa tombe est écrit):
"Quid cernis viator? Lumen obscurum... si petis pietatem in Mariam, nullus Bernardo similior. Passant, que vois-tu? Un flambant éteint... si tu demandes quelle fut sa dévotion à Marie, nul ne fut plus semblable à saint Bernard."
[...] Oui, c'est avec sa dévotion à Marie que Montfort a banni, dans les provinces où il a passé, l'ignorance et l'erreur, détruit les vices et les superstitions, écrasé l'hérésie, confondu le mensonge, vaincu l'impiété et refoulé au dehors les puissances des ténèbres, où elles ont en vain écumé de rage et grincé des dents contre le victorieux apôtre de Marie.
La dévotion à Marie, voilà la raison principale de l'éminente sainteté de Montfort, la raison des prodiges qu'il a opérés, la raison des infernales persécutions qui l'ont poursuivi durant sa vie et après sa mort, déchirant sa réputation, attaquant partout sa mémoire révérée, conspirant d'un bout de la France à l'autre, où sa grande renommée avait retenti, pour jeter le ridicule sur son nom vénéré ou le flétrir cruellement pour l'ensevelir dans l'opprobre, l'obscurité et le silence. Ses portraits, ses panégyriques, les poésies en son honneurs que sa réputation de sainteté avait répandus dans toute la France et jusqu'à l'étranger, furent bientôt mis en pièces, anéantis, et on ne les trouva plus guère que dans les provinces de l'Ouest; mais aussi on les y trouvait dans toutes les maisons durant le XVIIIe siècle et on les y retrouve encore aujourd'hui, généralement partout, avec ses cantiques si touchants, si instructifs et si populaires. De respectables curés nous ont assuré que dans un temps peu éloigné de nous, on n'avait guère dans leurs paroisses pour toute lecture que la vie du bon Père de Montfort et qu'elle est toujours demeurée la plus goûtée et la plus édifiante, ainsi que ses pieux cantiques. Plusieurs nous ont également assuré que dans le pays de Saumur, là, où l'on ne trouvait presque plus de pratique de religion, on rencontrait encore dans presque toutes les maisons de la campagne les images du saint missionnaire; la représentation de ses grandes processions et de ses calvaires, et les chants populaires qui publient sa gloire.
[...] (En 1713, il écrit deux lettres à une de ses soeurs, religieuse du Saint-Sacrement à la communauté de Rembervilliers en Lorraine, pour lui raconter une partie de ses tribulations afin de l'encourager de combattre et souffrir patiemment pour Jésus et Marie. Dans la première lettre le saint écrit):
"Dieu prend plaisir, ma chère soeur, à nous voir combattre et à nous rendre tous deux victorieux, vous dans le secret et moi dans le public car vos combats se passent dans vous-même et n'éclatent pas hors de votre communauté, mais les miens éclatent par toute la France, soit à combattre les démons de l'enfer, soit à faire la guerre au monde et aux mondains, ennemis de toute vérité. Vous seriez sans doute surprise, si vous saviez les détails de l'aimable croix dont le ciel me favorise par l'intercession de notre bonne Mère. Je vous prie d'en remercier mon aimable Jésus, et de prier votre communauté, que je salue, de m'obtenir de Jésus crucifié la force de porter les plus rudes croix et les plus pesantes comme des pailles, et de résister avec un front d'airain aux puissances infernales..."
Voici la seconde lettre :
"Vive Jésus! Vive Sa croix!
Si vous connaissiez mes croix et mes humiliations par le menu, je doute si vous désireriez si ardemment de me voir; car je ne suis jamais dans un pays que je donne un lambeau de ma croix à porter à mes meilleurs amis, souvent malgré moi et malgré eux. Aucun ne me peut soutenir et n'ose se déclarer pour moi qu'il n'en souffre et quelquefois qu'il ne tombe sous les pieds de l'enfer que je combats, du monde que je contradis, de la chair que je persécute. Une fourmilière de péchés et de pécheurs que j'attaque ne me laisse aucun repos : toujours sur le qui-vive, toujours sur les épines, sur les cailloux piquants; je suis comme une balle dans un jeu de paume : on ne l'a pas sitôt poussée d'un côté qu'on la pousse de l'autre en la frappant rudement.
C'est la destinée d'un pauvre pécheur; c'est ainsi que je suis sans relâche et sans repos depuis treize ans que je suis sorti de Saint-Sulpice. Cependant, ma chère soeur, bénissez-en Dieu pour moi, car je suis content et joyeux au milieu de toutes mes souffrances et je ne crois pas qu'il y ait au monde rien de plus doux pour moi que la croix la plus amère, quand elle est trempée dans le sang de Jésus crucifié et dans le lait de sa divine Mère. Mais outre cette joie intérieure, il y a grand profit à faire en portant les croix. Je voudrais que vous vissiez les miennes; mais je n'ai jamais plus fait de conversions qu'après les interdits les plus sanglants et les plus injustes. Courage, ma très chère soeur, portons tous deux notre croix aux deux extrémités du royaume; portez-la bien de votre côté, je tâcherai de la bien porter du mien, avec la grâce de Dieu, sans se plaindre, sans murmurer, sans nous décourager, sans nous excuser, sans pleurer comme de petits enfants qui verseraient des larmes et se plaindraient de ce qu'on leur donnerait cent livres d'or à porter, ou comme un laboureur qui se désespérerait de ce qu'on aurait couvert son champs de louis d'or pour le rendre riche..."
[...] Un jour, tout allait parfaitement bien dans une mission; il voulut l'interrompre et partir ailleurs, pensant qu'il n'y avait pas grand bien à y faire parce qu'il ne trouvait point de croix. [...] Ce ne serait peut-être pas exagérer de dire que l'apôtre de Marie a fait plusieurs millions de conversions durant sa vie, et des conversions solides et durables. [...] L' homme de Dieu, dit Grandet, menait toujours avec lui dans ses missions un peintre et un sculpteur pour réparer et embellir les tableux et les statues des églises. [...] C'est ainsi qu'on a vu les églises fermées à l'approche de l'envoyé de Dieu, et de façon à ne pouvoir les ouvrir; mais on a aussi vu les portes s'ouvrir comme d'elles-mêmes à la prière du missionnaire agenouillé à l'entrée du lieu saint. C'est encore ainsi qu'on a vu des libertins, des impies et des émissaires de jansénisme s'attrouper sur les places, dans les cabarets voisins de la maison de Dieu, vomissant l'injure et le blasphème, chantant, hurlant pour étouffer la voix du prédicateur; mais aussi on les a vus se disperser, saisis d'effroi et d'épouvante à la présence de l'homme de Dieu. [...] Bien de fois, il vit le fer levé sur sa tête, mais aussi tomber soudain des mains du meurtier, plus troublé que le nouvel Étienne priant à genoux, disant l'Ave Maria pour ses ennemis. [...] D'autres fois, on vit des populations entières l'accueillir par des huées et à coups de pierres, mais aussi converties, le reconduire en triomphe à plusieurs lieux de leur village, ne pouvant plus s'en détacher. (Une fois il fut battu à coups de canne sur une place publique; mais dans le même jour, plus de quinze mille personnes marchaient en procession à la voix de Montfort. Dans un autre lieu, il fut jeté en prison comme un autre Jean-Baptiste pour avoir crié contre les parures immodestes de certaines dames, mais aussi la porte de prison s'ouvre d'elle-même comme pour le prince des Apôtres, et ses insulteurs demandent pardon au saint missionnaire. Ailleurs, on lui décharge des soufflets publiquement sur la figure à son arrivée dans un bourg où il va porter le bienfait d'une mission, mais bientôt les mains criminelles deviennent suppliantes, touchées de la grâce, et ne savent comment exprimer le repentir. Mille fois on complotait sa mort et maintes fois on a tenté à sa vie par le poison et par le fer, à la ville comme à la campagne.
Une fois on a entendu dans sa chambre un bruit effroyable, comme s'il y eût plusieurs personnes à se battre avec une extrême violence et au milieu des coups, la voix de Montfort disait : " Je me moque de toi, je ne manquerai point de force et de courage pendant que j'aurai Jésus et Marie avec moi; je me moque de toi." ) [...] On l'a aussi vu traîné violement par terre, sans apercevoir la puissance qui le traînait, à travers une cour, à Poitiers et il s'écriait : "O sainte Vierge, ma bonne Mère, venez à mon secours." Poursuivi par cette bête cruelle jusque sur son lit de mort et au moment de rendre le dernier soupir, il jette au démon ce défi et ce cri de victoire : "C'est en vain que tu m'attaques; je suis entre Jésus et Marie.
Deo gratias et Mariae". »