Credo Sénéchal
Nombre de messages : 1347 Date d'inscription : 30/06/2006
| Sujet: A jamais mélancolique Ven 5 Déc - 2:49 | |
| Texte dont je tais le nom de l'auteur... - Citation :
- Je me souviens avec ferveur et émotion de ces samedis après-midi où mon parrain m'attirait d'un clin d'œil complice vers la remise de son magasin de cycles pour y remonter avec adresse, devant mes yeux de gamin ébahi, la vieille mitraillette Sten qui l'avait accompagné dans le maquis auvergnat.
Il était très fier, je l'étais encore plus.
Et lorsque je lui demandais combien il avait tué d'allemands et qu'il me répondait « Aucun j'espère… » je ne comprenais pas bien et j'étais même presque déçu.
Je me souviens avec autant d'intensité des larmes de son épouse lorsqu'elle évoquait les grandes peurs ressenties durant la guerre. Les deux moments de terreur qu'elle ne racontait qu'avec des restes de sanglots dans la voix étaient le séjour de la division Das Reich dans les murs de la ville et les journées de la libération durant lesquelles tous les voyous de la région, munis de brassards FFI hâtivement cousus sur les chemises, se livrèrent aux pires exactions et aux plus sordides règlements de compte.
Je me souviens de mon arrière grand père putatif, ancien poilu de 14, raillant les récits de guerre de mon grand-père en qualifiant (injustement d'ailleurs) la campagne de 40 de « plus grande course à pieds de l'histoire ».
Je me souviens de ces bourgeois et de ces paysans dont on murmurait que les confortables fortunes avaient singulièrement enflé durant l'occupation.
Beaucoup les méprisaient, peu les haïssaient et personne les auraient fusillés au petit matin… parce qu'ils étaient du pays, parce que l'on connaissait la faiblesse de la nature humaine, parce qu'ils n'avaient tué personne et que, de toute façon, c'était Dieu qui jugerait…
Je me souviens de ces violentes querelles politiques qui se réglaient autour d'une tournée d'apéritifs au comptoir. Je me souviens de cette solidarité instinctive face à la maréchaussée et aux inspecteurs du fisc. J'entendais aussi parler d'anciens vichystes devenus (ou redevenus) socialistes et de résistants d'extrême droite. J'étais tout minaud et ne comprenais pas tout. Je prenais pourtant là sans le savoir la plus précieuse et la plus utile des leçons, celle de la complexité du monde. Entre ma grand-mère qui « n'aimait pas les Poldèves » mais en avait tout de même caché durant de longs mois car « ils n'avaient nulle part où aller » et qu'on allait « tout de même pas les laisser à la rue » et les clients communistes du bistrot familial qui conspuaient « les métèques au service du grand capital », je recevais alors un vaccin salutaire et définitif contre le manichéisme, le simplisme et le charme totalitaire de l'empire du bien. En un mot, je devenais, sans m'en rendre compte et peut-être malgré moi, un homme de droite.
Et lorsque je repense, comme en cet instant, à cette France humble mais fière, querelleuse mais partageant un cœur commun de valeurs, cabocharde mais rigolarde, combinarde mais travailleuse, parfois mesquine mais souvent virile et que j'observe le plat conformisme dégueulant d'ennui et la vulgarité égoïste de ma génération de fumeurs de joints et d'accrocs à la console de jeux, je ne suis pas nostalgique, sentiment vain car on ne ressuscite pas plus un monde qu'une espèce disparue, mais juste mélancolique.
A jamais mélancolique.
Et s'il est inutile, ressentant chacun au fond de soi les stigmates des tares qui la rongent, d'en vouloir à cette génération d'être devenue ce qu'elle est, on doit en tout cas lui dénier fermement le droit de juger qui et quoi que ce soit d'antérieure à elle.
Quand on est une lie, quand on a atteint le niveau zéro de l'éducation, de la culture, de la cordialité, de l'élégance, de la générosité, du courage, de la camaraderie, de l'altruisme, de l'honnêteté et du savoir vivre, on n'a qu'un seul droit : celui de faire profil bas et de ramer pour tenter de sortir de la boue. | |
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Ar-Ka. Chevalier
Nombre de messages : 633 Date d'inscription : 27/08/2006
| Sujet: Re: A jamais mélancolique Ven 5 Déc - 10:41 | |
| "Texte dont je tais le nom de l'auteur..."Non, non, on veut savoir! | |
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