"Le matin du battage, on attendait qu'il fasse très chaud pour amener les boeufs dans l'aghja (l'aire) au hameau d'Amagu. La chaleur est indispensable pour que l'épi sèche et que le grain se détache de son enveloppe. Les boeufs tournaient jusqu'à midi sous une chaleur torride, mon père me demandait de retourner la trida (paille écrasée). On enlevait aussi la plus grosse paille et les noeuds des ligatures de gerbes avec une palmula (fourche large). De temps en temps, on changeait le sens de rotation des boeufs pour qu'ils se fatiguent moins. A midi on s'arrêtait pour faire boire les boeufs et manger quelque chose. On reprenait une heure après pour continuer le battage des gerbes. Il fallait deux jours pour battre le blé. Quand la paille était suffisamment écrasée et que le blé s'entassait, on sortait les boeufs et on commençait à vanner avec une fourche. La paille était retirée de l'aire puis il fallait attendre le vent pour vanner le blé. Quand le vent se mettait à souffler en milieu de matinée, chacun prenait une fourche ou une pelle pour séparer la paille du blé. On lançait la paille et le blé en l'air en nous mettant face au vent pour que la paille s'envole en sens contraire hors de l'aire à blé. Je me rappelle, c'était une tâche très pénible car il faisait très chaud, on transpirait et on était recouvert de poussière qui nous collait à la peau. A la fin de la journée on avait les yeux rougis et enflés à cause des débris de paille. ça nous faisait très mal... A la fin de la tribbiera (battage), les femmes entraient en action avec les balais de bruyère pour enlever la paille et les nœuds restants puis entasser le blé. On mettait des morceaux de bois pour empêcher le blé de s'éparpiller sur le sol. C'était un travail pénible, souvent on chantait pour oublier la fatigue et la chaleur qui nous brûlait le visage, mais il fallait manger et chacun mettait du coeur à l'ouvrage pour accomplir cette tâche collective. Aujourd'hui, il est facile d'acheter un kilo de farine dans une épicerie, mais de notre temps on devait travailler toute une année pour avoir un morceau de pain..."
Témoignage de Joachim Acquaviva, extrait de Tempi fà de Pierre-Jean Luccioni.