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| Pierre Duhem : un grand scientifique et un grand catholique | |
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Diego de la Vega Page
Nombre de messages : 121 Localisation : Nantes en Bretagne, Pays de la Loire, va te faire voir ! Date d'inscription : 30/01/2007
| Sujet: Pierre Duhem : un grand scientifique et un grand catholique Ven 9 Fév - 14:07 | |
| Je voudrais attirer l'attention des scientifiques de ce forum sur un grand scientifique catholique trop méconnu et persécuté pendant toute sa carrière par ses confrères : Pierre Duhem. DUHEM Pierre (1861-1916)Des trois volets de l’œuvre de Pierre Duhem, accomplie relativement en marge du milieu scientifique français de son époque, chacun aurait pu suffire à assurer sa renommée. Pionnier de la chimie physique et promoteur d’une thermodynamique générale qui réunirait les sciences physiques et chimiques, il se prononçait pour une physique théorique abstraite où les changements d’états ne soient pas ramenés au mouvement local. Ses conceptions de la théorie physique comme un système abstrait, construit par convention, dans lequel aucune des propositions n’est isolable au moment de la confrontation avec l’expérience, conceptions qui rejettent la notion d’experimentum crucis et l’induction, placent sa philosophie des sciences au cœur des considérations contemporaines. Son œuvre en histoire des sciences, illustrant ses conceptions des théories physiques et de leur évolution continue, constitue une contribution considérable à l’histoire des sciences au Moyen Âge. Sa viePierre Duhem naquit le 10 juin 1861 à Paris. Son père, originaire de Roubaix, était commerçant, et sa mère appartenait à une famille de la bourgeoisie languedocienne; très croyante, elle communiqua à son fils une profonde ferveur religieuse. Pierre Duhem fut éduqué dans le goût des humanités classiques – sa familiarité avec le latin et le grec lui fut plus tard utile dans l’étude des textes médiévaux; un de ses maîtres au collège Stanislas, Jules Moutier, l’aida à s’orienter vers les sciences. Reçu premier au concours d’entrée à l’École normale supérieure en 1882, il y fut un élève brillant, mais à la santé fragile et au caractère ombrageux et entier. Il reçut Jésus-Hostie pour la première fois des mains de Mgr de Ségur !Avant même de terminer sa licence, il avait présenté des résultats de recherches originaux et terminé, dès 1884, une thèse sur le potentiel thermodynamique; elle fut refusée par le jury, sous l’influence de Berthelot, dont le principe du travail maximum y était vivement attaqué. Il la publia peu après et prépara une autre thèse, présentée en mathématiques, sur la théorie du magnétisme, qu’il soutint en 1888. Nommé en 1887 maître de conférences à l’université de Lille, il s’y révéla un enseignant hors pair et un chercheur infatigable, produisant de nombreux articles et plusieurs ouvrages. Il épousa en 1890 Adèle Chayet, dont il eut une fille, l’année suivante. Son épouse mourut en secondes couches en 1892. Il ne se remaria pas et consacra désormais sa vie à l’éducation de sa fille et à son œuvre scientifique. Duhem dut quitter Lille sur sa demande, en 1893, à la suite d’une grave altercation avec le doyen de la faculté; il séjourna une année à l’université de Rennes, puis fut nommé en 1894 à l’université de Bordeaux, où il obtint l’année suivante la chaire de physique théorique. Il demeura dans cette ville jusqu’à sa mort, qui survint le 14 septembre 1916, à Cabrespine, près de Carcassonne, dans la maison familiale où il se trouvait en vacances. Souffrant d’angine de poitrine, il fut terrassé par une attaque cardiaque. Il avait cinquante-cinq ans. Pierre Duhem laissait derrière lui une œuvre considérable dans les trois domaines de la physique-chimie, de la philosophie et de l’histoire des sciences, au fil de près de quatre cents articles et de vingt-deux ouvrages répartis en quarante-cinq volumes. Dans chacune de ces disciplines, ses contributions furent de premier plan. Son œuvre en physique et en chimie fut cependant davantage appréciée à l’étranger qu’en France, où il s’était fait de nombreux adversaires et où sa carrière fut bloquée. Son caractère intransigeant, son tempérament rigide, ses convictions politiques et religieuses qui allaient à contre-courant de celles qui prévalaient alors dans l’université française – il était catholique conservateur, monarchiste, antidreyfusard, et s’affirma antisémite et nationaliste chauvin – aggravèrent les oppositions scientifiques. Cela lui ferma l’accès à la capitale dont il avait un vif désir, et retarda son élection à l’Académie des sciences: il en devint membre correspondant en 1900 et membre titulaire non résident en 1913.
Dernière édition par le Ven 9 Fév - 16:42, édité 2 fois | |
| | | Diego de la Vega Page
Nombre de messages : 121 Localisation : Nantes en Bretagne, Pays de la Loire, va te faire voir ! Date d'inscription : 30/01/2007
| Sujet: Re: Pierre Duhem : un grand scientifique et un grand catholique Ven 9 Fév - 14:08 | |
| Son oeuvre
Très tôt orienté vers les travaux de Gibbs et de Helmholtz, Duhem proposa, dès ses premières contributions, d’utiliser la notion de potentiel thermodynamique (interne), notion reprise des fonctions caractéristiques des fluides de François Massieu et des énergies libres de Gibbs et de Helmholtz; il put ainsi, en faisant appel à la méthode des travaux virtuels, traiter de nombreux problèmes de physique et de chimie, portant notamment sur l’équilibre des phases liquides et gazeuses, les dissociations, les propriétés des solutions. Son ouvrage Le Potentiel thermodynamique (1886) – la thèse refusée – contient en particulier l’équation de Gibbs-Duhem sur les solutions. Duhem poursuivit ses recherches dans cette direction, proposant d’autres applications variées du potentiel thermodynamique à la statique et à la dynamique chimique; ces travaux font de lui l’un des fondateurs de la chimie physique moderne avec les Van’t Hoff, Ostwald, Arrhenius, Le Châtelier. Ce faisant, au lieu de se proposer, comme beaucoup de ses contemporains, en France notamment, de réduire les phénomènes chimiques à la mécanique, il les rapportait à la thermodynamique.
Parmi ses autres contributions importantes, il convient de mentionner la preuve qu’il donna, en 1898, de la règle des phases de Gibbs, dont il proposa en outre l’extension. Toujours en thermodynamique, Duhem élabora, en 1896, une théorie des faux équilibres; il distinguait ceux qui sont apparents – par exemple, une petite perturbation dans une solution saturée – et ceux qui sont réels – il s’agit dans ce cas des équilibres métastables, qu’il étudia en détail. Par ses conceptions et ses contributions en thermodynamique, Duhem apparaît comme un des principaux pionniers de l’étude de la thermodynamique des processus irréversibles, qui a connu d’importants développements au cours des dernières décennies. Curieusement, jusqu’à sa reconnaissance relativement récente, son œuvre en thermodynamique fut davantage appréciée des mathématiciens que des physiciens et des chimistes – en France du moins.
Le projet de Duhem était de fonder sur une énergétique ou thermodynamique générale l’ensemble de la physique et de la chimie, en harmonie avec les conceptions énergétistes de Rankine, Helmholtz, Mach et d’autres, et en opposition au projet de réduction mécaniste des atomistes comme Boltzmann. Il s’attacha à poser les fondements logiques et axiomatiques de cette science. Le deuxième principe ne lui paraissait pas réductible à la mécanique – à quoi l’on rapportait généralement le premier, celui de la conservation de l’énergie, issu du principe de l’équivalence de la chaleur et du mouvement; pour établir les deux principes sur un pied d’égalité, il fallait les traiter comme des postulats, et "la thermodynamique se développe alors selon un type de théorie nouveau en physique". On perçoit déjà ici le lien entre ses recherches scientifiques et sa conception de la théorie physique. Duhem voyait dans sa tentative d’unifier les sciences physiques et chimiques au sein d’une thermodynamique généralisée sa principale contribution scientifique. Il est à noter que les mots "atome" et "molécule" sont totalement absents, conformément à son rejet de ces notions, de son Traité d’énergétique de 1911 qui propose l’accomplissement de ce programme. Mais il échoua à y ramener l’électromagnétisme. Critiquant vivement la théorie de Maxwell pour sa méthode et ses modèles, qui lui paraissaient entachés de contradictions internes (Les Théories électriques de J. Clerk Maxwell , 1902), il contribua pour sa part à développer la théorie électromagnétique de Helmholtz, plus complexe, et qui rendait également compte des expériences de Hertz; il considérait les ondes électromagnétiques comme transversales et longitudinales.
Duhem manifesta un intérêt marqué pour l’hydrodynamique et l’élasticité, faisant usage dans ces domaines des résultats de la thermodynamique (Recherches sur l’hydrodynamique , 1903-1904, Recherches sur l’élasticité , 1906). Il s’intéressa en particulier à la propagation des ondes dans des liquides visqueux, compressibles et conducteurs de la chaleur, et démontra que de tels milieux ne peuvent propager des ondes de choc (de densités et de vitesses discontinues), ce qui l’amena à proposer l’idée de quasi-ondes, dont les variations sont très rapides mais continues. Ces idées ont été l’objet d’un regain d’intérêt depuis le début des années soixante. Il faut encore mentionner une contribution qui apparaît rétrospectivement fondamentale: sa considération, en 1893, de corps constitués de points affectés d’une direction, qui préfigure la physique des cristaux liquides et des dislocations.
À côté de vues étonnamment pénétrantes, Duhem s’est toujours refusé à attacher la moindre portée physique aux conceptions atomiques, comme il s’est opposé à la relativité restreinte – elle lui semblait une atteinte au sens commun, et avait le tort à ses yeux de privilégier l’électromagnétisme de Maxwell et la théorie des électrons, contre lesquels il s’inscrivait. Le succès de ces théories et la passion avec laquelle Duhem s’était engagé, dans les controverses scientifiques, contre les tendances dominantes, contribuent à expliquer l’éclipse qu’a connue son œuvre, de premier plan, en thermodynamique, en chimie physique, en hydrodynamique et en théorie de l’élasticité. | |
| | | Diego de la Vega Page
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| Sujet: Re: Pierre Duhem : un grand scientifique et un grand catholique Ven 9 Fév - 14:09 | |
| Le philosophe des sciences
Tout en poursuivant ses travaux en physique, Pierre Duhem s’est de plus en plus préoccupé de philosophie et d’histoire des sciences, surtout à partir de 1893 pour la première discipline et de 1904 pour la seconde. La Théorie physique rassemble dans un ouvrage riche et original, dont l’importance a également été récemment découverte – notamment dans le monde anglo-saxon –, les conceptions de Duhem en philosophie des sciences, qui sont directement reliées à ses conceptions et à sa pratique scientifiques, et très marquées évidemment par ses convictions personnelles.
L’objet de la théorie physique, pour Duhem, est d’établir "un système abstrait qui a pour but de résumer et de classer logiquement un ensemble de lois expérimentales, sans prétendre expliquer ces lois". La question de la réalité matérielle, distincte des apparences sensibles, est de nature métaphysique et échappe à la physique. Physique et métaphysique sont indépendantes, et Duhem était autant soucieux d’affirmer l’autonomie de la physique que de préserver la métaphysique, et il souhaitait par ailleurs réhabiliter celle d’Aristote et de Thomas d’Aquin: c’est pourquoi on a pu qualifier sa philosophie de "positivisme catholique" (voir en particulier "Physique de croyant", 1905, in La Théorie physique , 2e éd.). Les théories physiques sont évolutives, et leur but est de parvenir, quand elles se rapprochent de l’état de perfection, à une classification naturelle . Par là, Duhem diffère du positivisme – au sens courant – ou du pur conventionnalisme: "plus [la théorie] se perfectionne, plus nous pressentons que l’ordre logique dans lequel elle range les lois expérimentales est le reflet d’un ordre ontologique". Mais la théorie, simple représentation, exclut toute explication, et les parties explicatives des théories physiques – par exemple les modèles mécaniques ou imagés – ne sont que de simples parasites, qui ne cessent de faire obstacle au progrès théorique.
Les conceptions du Duhem sur la structure de la théorie physique, étayées sur ses analyses et sa propre pratique, sont particulièrement intéressantes. Tout d’abord, il constate qu’"une expérience de physique n’est pas seulement l’observation d’un phénomène; elle est en outre l’interprétation théorique de ce phénomène". Il énonce ensuite cette thèse – reprise ultérieurement par Quine – qu’"une expérience de physique ne peut jamais condamner une hypothèse isolée, mais seulement tout un ensemble théorique". Il n’y a donc pas d’expérience cruciale, ni les faits ni les hypothèses n’étant isolés, et l’on ne compare que des systèmes entiers, celui des représentations théoriques et celui des données d’observation. Considérant qu’entre les faits d’expérience et le raisonnement mathématique la médiation d’une transcription symbolique est nécessaire, et que par ailleurs une loi numérique n’est jamais qu’approchée, il constate qu’"une infinité de faits théoriques différents peuvent être pris pour la traduction d’un même fait pratique", ce qui condamne l’induction: "les vérifications expérimentales ne sont pas la base de la théorie, elles en sont le couronnement". Il précise, dans "La Valeur de la théorie physique" (1908, in La Théorie physique , 2e éd.), que seuls sont vrais ou faux les énoncés de faits d’expérience, et non les théories elles-mêmes et leurs propositions, qui sont prises par convention et pour leur caractère de commodité. C’est encore par une convention que nous choisirons, dans l’ensemble des propositions théoriques en défaut, celles que nous rejetterons: en fait, c’est le bons sens qui est juge des hypothèses à abandonner. D’une façon générale, pour Duhem, la science se fonde sur le sens commun – qui n’est pas autrement analysé. Le commodisme ou conventionnalisme de Duhem diffère de celui de Poincaré puisque, pour lui, la métaphysique est à l’horizon de la physique. Il y a, note Duhem, dans le travail scientifique, une aspiration à l’unité logique de la théorie physique. D’autre part, le progrès des théories se fait plutôt par retouches continuelles que par bouleversements. Aucune hypothèse nouvelle n’apparaît brusquement, et même les remplacements (de telle hypothèse prise par convention) surviennent de façon continue.
C’est l’histoire de la physique qui nous fait comprendre la progression des théories vers l’état de classification naturelle; et Duhem prône, pour une exacte compréhension des hypothèses et de la nature des théories, la méthode historique en pédagogie des sciences. | |
| | | Diego de la Vega Page
Nombre de messages : 121 Localisation : Nantes en Bretagne, Pays de la Loire, va te faire voir ! Date d'inscription : 30/01/2007
| Sujet: Re: Pierre Duhem : un grand scientifique et un grand catholique Ven 9 Fév - 14:09 | |
| L’historien des sciences
Les recherches historiques de Duhem sont intimement liées à ses analyses en philosophie des sciences, qu’elles prolongent et illustrent. Il veut aussi montrer, par elles, que l’Église n’a pas été la puissance obscurantiste qu’on a prétendu, et qu’au contraire la culture et la philosophie chrétiennes ont rendu possible et préparé le développement de la science moderne. Dans ses Études sur Léonard de Vinci (1906-1913), comme dans son monumental Système du monde – dont cinq volumes parurent de son vivant, de 1913 à 1917, et les cinq autres bien plus tard, de 1954 à 1959 –, il montre comment le renouvellement des sciences commence non pas à la Renaissance mais dès le XIIIe siècle, et combien Copernic, Galilée et les savants du XVIIe siècle ont été tributaires des œuvres de nombreux prédécesseurs, négligés jusqu’alors et dont il réévalue l’importance. Ayant pu consulter les carnets manuscrits de Léonard de Vinci, il y a trouvé citations et références à des auteurs antérieurs, dont il put également étudier les manuscrits à la Bibliothèque nationale. Quant au Système du monde , il apparaît aujourd’hui encore comme une contribution fondamentale à l’histoire des sciences au Moyen Âge; il a permis, entre autres, de redécouvrir les maîtres parisiens Jean Buridan, Albert de Saxe, Nicolas Oresme.
Dans Syzein ta fainomena (Sauver les phénomènes ), qui est une illustration historique de sa conception sur les théories physiques, de Platon à Galilée, il explique qu’au fond Bellarmin avait raison de critiquer la confusion introduite par Galilée sur la physique et sur son but, qui n’est pas d’expliquer, comme il le proclamait, mais de représenter les phénomènes. La signification profonde du travail de Kepler et de Galilée ne fut, au contraire de ce qu’ils pensaient, que de donner à la physique le statut de science réservé auparavant à l’astronomie et de parvenir à l’unité dans la représentation des phénomènes: "ils croyaient renouveler Aristote; ils préparaient Newton".
D’autres travaux historiques de Duhem, sur L’Évolution de la mécanique (1903), sur Les Origines de la statique (1905-1906), sur les théories de la chaleur et les conceptions chimiques (Le Mixte , 1902), par exemple, sont également importants; ils visent en général à retrouver une justification de sa conception philosophique sur les théories physiques en montrant comment la constitution de ces dernières les fait voir comme des classifications naturelles, et comment les modèles explicatifs sont autant d’obstacles avant d’être caducs (critique des conceptions atomistes et mécanistes). | |
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