Voici l'histoire d'une Fondation très puissante et largement méconnue: la
French American Foundation (FAF) dont le but de resserer les liens franco-américains dans tous les domaines. Cette Fondation dispose de deux sièges: New-York et Paris. Son influence est considérable si l'on en juge par ses dirigeants, ses appuis financiers et ses cadres. On y est surpris de découvrir les noms de certaines personnalités françaises.
Lors de sa visite aux Etats-Unis,
Nicolas Sarkozy prononça un discours, le 12 septembre 2006, à la French American Foundation (FAF, la « Fondation franco-américaine »). Rappelant la nécessité de « rebâtir la relation transatlantique (…) et de favoriser la constitution d’une Europe politique forte et influente sur la scène internationale »[1], le prétendant à l’Elysée a dû ravir par ces propos les dirigeants de cette Fondation largement méconnue. L’étude de celle-ci est pourtant profitable afin de mieux saisir les liens ô combien étroits qui lient les élites franco-américaines.
La FAF doit son origine aux actions de trois éminents américains[2] : James G. Lowenstein, membre entre autres du Council on Foreign Relations (le CFR) où s’élabore la politique étrangère des Etats-Unis et dont l’équivalent britannique est le Royal Institute of International Affairs (RIIA dit Chatham House) ; James Chace, directeur de la rédaction de Foreign Affairs, revue du CFR et de Nicholas Wahl, professeur de science politique et fin connaisseur de la classe dirigeante française lui permettant des contacts en particulier avec le Général de Gaulle et Michel Debré[3]. S’appuyant dans les années 1970 sur tout un réseau[4] des milieux politiques, des affaires, de la presse et universitaires français comme Olivier Chevrillon, un des fondateurs de la revue le Point ; Pierre Jouven, président de Péchiney ; Jean-Louis Gergorin (futur membre du comité exécutif d’EADS) et Thierry de Montbrial (futur président de l’Institut français des relations internationales, l’IFRI) co-dirigeants à l’époque le Centre d’analyse et de prévision (le CAP) du ministère des Affaires étrangères de 1973 à 1984, ils obtinrent l’appui officiel de Valéry Giscard d’Estaing. Ce dernier, lors d’un dîner à l’ambassade de France aux Etats-Unis, annonça la création d’une double Fondation franco-américaine, le 18 mai 1976, en accord avec le président américain Gerald Ford et le secrétaire d’Etat Henry Kissinger[5]. Ainsi, la French American Foundation (la FAF) vit le jour avec un siège à New-York et l’autre à Paris. Comme le rappellent les textes officiels : « L’objectif de la Fondation franco-américaine est de renforcer la relation franco-américaine considérée comme un élément essentiel du partenariat transatlantique »[6]. Pour accomplir cet idéal, les bonnes fées de la finance, de la grande presse, de l’université et de la politique se sont pressées autour du tout nouvel institut. Les grâces ont été particulièrement abondantes.
En effet, la branche américaine a bénéficié d’appuis inestimables. Il n’est pas possible de nommer l’intégralité des dirigeants et des contributeurs financiers en raison de la liste impressionnante des participants. Cependant, on peut relever parmi les membres anciens et nouveaux en 2007 : John D. Negroponte, plusieurs fois ambassadeurs et dont la dernière nomination se déroule à Bagdad, membre du CFR, il a été un des présidents de la FAF de New York ; Ernest-Antoine Sellière, ancien président du patronat français et européen (le MEDEF et l’UNICE) ; les anciens ambassadeurs américain en France, Félix G. Rohatyn, et François Bujon de l’Estang à Washington[7] ; ou encore l’actuel président de la FAF de New York, Nicholas Dungan[8] dont les activités se sont déployées au sein de la très atlantiste Chatham House[9]. Par ailleurs, les appuis financiers ne manquent pas puisqu’on peut relever des noms prestigieux comme David Rockfeller, fondateur de la Trilatérale et président honoraire du CFR ; Franck Carlucci, ancien secrétaire adjoint à la CIA et ancien secrétaire à la défense du président Reagan, il a été le directeur du très puissant Groupe Carlyle. Cette société d’investissements américaine est très impliquée dans l’industrie de la défense tout en étant proche de l’administration Bush. Enfin, nous pouvons relever parmi les contributeurs : EADS, l’Oréal USA ou encore la Société Générale[10].
La FAF française n’a pas à rougir de sa jumelle new-yorkaise. Dirigée au début par le président de Péchiney jusqu’en 1982, Pierre Jouven, la Fondation est présidée depuis 1997 par Michel Garcin[11], Directeur général de Hervé Consultants (spécialiste en accompagnement d’entreprises). Le Conseil de surveillance[12] réunit
EADS France (et dire qu'il y en a qui pensent qu'Airbus est européen!
), BNP Paribas, la Caisse des dépôts et des représentants comme Yves de Gaulle (secrétaire général de Suez), Jean-Louis Gergorin (vice-président de la coordination stratégique chez EADS, mais dont les activités ont cessé avec l’affaire Clearstream) ou Marwan Lahoud, PDG du leader européen dans le secteur des missiles MBDA dont EADS est actionnaire à 37,5% et dont le frère Imad Lahoud a connu quelques démêlées judiciaires en liaison avec Jean-Louis Gergorin lors de l’affaire Clearstream. Enfin, nous pouvons ajouter que la FAF française est soutenue par le ministère des Affaires étrangères, le ministère de l’éducation nationale ou encore l’Institut d’Etudes politiques de Paris[13].
Cependant, l’action de la FAF est encore plus considérable en raison de sa capacité à recruter des personnes appelées à occuper de hautes fonctions. C’est dans le programme intitulé Young Leaders qu’une véritable sélection s’opère. Comme l’affirment clairement les textes officiels : « Le programme phare des Young Leaders, piloté par les deux entités (ndlr : New-York et Paris), vise à créer et à développer des liens durables entre des jeunes professionnels français et américains talentueux et pressentis pour occuper des postes clefs dans l’un ou l’autre pays »[14]. Au sein de la sélection, c’est le professeur de science politique américain et membre du CFR, Ezra Suleiman, qui fut l’unique responsable de 1981 à 1984, puis de 1994 à 2001, du recrutement des Young Leaders en France[15]. Après une sélection drastique, seuls 125 Américains et 126 Français composent les Young Leaders depuis 1981. Dans le cas de la FAF américaine, nous pouvons citer les noms suivants avec la date d’admission : Antony Blinken (1998, ancien conseiller en politique étrangère du président Clinton), Ian Brzezinski (2001, chargé aux affaires de défense de l’OTAN, fils du célèbre géopolitologue Zbigniew Brzezinski), le général Wesley K. Clark (1983, ex-commandant en chef des troupes de l’OTAN en Europe), le président Clinton (1984) et Hillary Clinton (1983, sénateur)[16]. Dans le cas de la FAF française, nous pouvons relever en particulier : Philippe Auberger (1989, député UMP), Yves Censi (2003, député UMP), Jérôme Chartier (2003, député UMP),
Nicolas Dupont-Aignant (2001, député UMP, souvent reçu à Radio-Courtoisie), Alain Juppé (1981, député UMP), Eric Raoult (1994, député UMP), Valérie Pécresse (2002, député UMP), Jacques Toubon (1983, député UMP), François Hollande (1996, député socialiste), Arnaud Montebourg (2000, député socialiste), Pierre Moscovici (1996, député socialiste), Alain Richard (1981, socialiste, ancien ministre de la Défense), Henri de Castries (1994, Directeur général du groupe AXA assurances), Emmanuel Chain (1999, journaliste), Jérôme Clément (1982, Président d’ARTE), Annick Cojean (2000, journaliste au Monde), Jean-Marie Colombani (1983, Directeur de la publication du Monde), Matthieu Croissandeau (2002, rédacteur en chef adjoint du Nouvel Observateur), Jean-Louis Gergorin (1994), Bernard Guetta (1981, journaliste à France Inter), Erik Izraelewicz (1994, rédacteur en chef des Echos), Laurent Joffrin (1994, PDG de Libération), Jean-Noël Jeanneney (1983, président de la BNF), Sylvie Kaufmann (1998, journaliste au Monde), Yves de Kerdrel (2005, journaliste aux Echos), Marwan Lahoud (1999), Anne Lauvergeon (1996, présidente d’AREVA), François Léotard (1981, ancien ministre de la Défense), Alain Minc (1981), Laurent Cohen-Tanugi (1996, Sanofi-Synthélabo et membre du conseil d’administration du think tank « Notre Europe » créé par l’ancien président de la Commission Jacques Delors[17]), Christine Ockrent (1983), Olivier Nora (1995, président des Editions Grasset), Denis Olivennes (1996, président de la FNAC) … etc[18].
Une telle représentation souligne l’influence capitale qu’exerce la French-American Foundation dans les liens franco-américains[19]. Cette fondation organise aussi différentes conférences sur la défense, le journalisme, l’éducation ou la santé. Nous trouvons parmi les participants, outre les personnes citées ci-dessus, des noms bien connus comme Jean-François Copé (porte-parole du gouvernement Chirac en 2007), Michel Barnier (conseiller politique de Nicolas Sarkozy en 2007), Nicolas Beytout (Directeur de la rédaction du Figaro), le général Henri Bentegeat (chef d’Etat-major des armées) etc[20].
Tous ces colloques poursuivent, bien entendu, le but suprême de servir au mieux les intérêts de l’humanité. Pierre Hillard.