Message du pape Benoît XVI à l’occasion du vingtième anniversaire de la Rencontre interreligieuse de prière pour la paix
(Assise, 4-5 septembre 1986)
Le pape Benoît XVI a écrit à l'évêque d'Assise, samedi 2 septembre, dans la perspective des commémorations de la rencontre de prière pour la paix voulue par Jean-Paul II, le 27 octobre 1986, voici le texte intégral communiqué par le Vatican..
«Cette année, on célèbre le vingtième anniversaire de la rencontre interreligieuse de prière pour la paix, voulue par mon vénéré prédécesseur, Jean-Paul II, le 27 octobre 1986, dans cette cité d’Assise. À une telle rencontre, on le sait, il convia non seulement les chrétiens de diverses confessions, mais aussi des représentants des différentes religions. L’initiative eut un large écho dans l’opinion publique : elle constitua un message vibrant en faveur de la paix et se révéla un événement destiné à laisser un signe dans l’histoire de notre temps. Il est alors compréhensible que le souvenir d’un tel événement continue de susciter des initiatives de réflexion et d’engagement. Plusieurs sont déjà prévus justement à Assise, à l’occasion du vingtième anniversaire de cet événement. Je pense à la célébration organisée par la communauté de Sant’Egidio, en accord avec le diocèse, comme chaque année. A l’occasion de cet anniversaire, un congrès se tiendra ensuite sous l’égide de l’Institut de théologie d’Assise, et les Eglises particulières de la région se retrouveront au cours de l’eucharistie concélébrée par les évêques d’Ombrie dans la basilique Saint-François. Enfin, le conseil pontifical pour le dialogue interreligieux animera une rencontre de dialogue, de prière et de formation à la paix destinée aux jeunes catholiques et d’autres religions.
Ces initiatives, chacune avec sa dimension propre, mettent en évidence la valeur de l’intuition qu’a eue Jean-Paul II et en montrent l’actualité à la lumière des événements qui ont eu lieu ces vingt dernières années, et de la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui l’humanité, souligne Benoît XVI. Le fait le plus significatif dans cette période fut, sans aucun doute, la chute, dans l’Est européen, des régimes d’inspiration communiste. Et, avec elle, la fin de la guerre froide, qui avait généré une sorte de partition du monde en sphères d’influence opposées, suscitant la préparation d’arsenaux militaires terrifiants et d’armées prêtes à une guerre totale. Ce fut, à l’époque, un moment d’espérance générale de paix, qui a conduit beaucoup à rêver d’un monde différent, dans lequel les relations entre les peuples se développeraient à l’abri du cauchemar de la guerre, et où le processus de « mondialisation » se serait placé sous le signe d’une confrontation pacifique entre les peuples et la culture, dans le cadre d’un droit international partagé, inspiré par le respect de l’exigence de la vérité, de la justice, de la solidarité. Malheureusement, ce rêve de paix ne s’est pas réalisé.
Le troisième millénaire s’est au contraire ouvert sur des épisodes de terrorisme et de violence qui ne paraissent pas devoir disparaître. Le fait que les confrontations armées se développent, aujourd’hui surtout, sur fond de tensions géopolitiques dans beaucoup de régions, peut donner l’impression que, non seulement les diversités culturelles, mais aussi les différences religieuses constituent des motifs d’instabilité ou de menaces pour les perspectives de paix.
Justement, et sous cet angle, l’initiative promue il y a déjà vingt ans par Jean-Paul II prend le caractère d’une prophétie d’actualité. Son invitation aux leaders des religions du monde, pour un témoignage commun de paix, a permis de mettre en lumière, sans équivoque possible, que la religion ne peut être que porteuse de paix. Comme le concile Vatican II l’a enseigné dans la déclaration Nostra Aetate sur les relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes, « Nous ne pouvons invoquer Dieu, Père de tous les hommes, si nous refusons de nous conduire fraternellement envers certains des hommes créés à l'image de Dieu » (n. 5). Malgré les différences qui caractérisent les divers chemins religieux, la reconnaissance de l’existence de Dieu, à qui les hommes peuvent parvenir seulement à partir de l’expérience de la création, ne peut pas ne pas disposer les croyants à considérer les autres êtres humains comme des frères. Il n’est donc permis à personne de prendre argument de la différence religieuse comme présupposé ou prétexte à une attitude belliqueuse à l’égard d’autres êtres humains.
On pourra objecter que l’histoire connaît le triste phénomène des guerres de religion, poursuit Benoît XVI. Nous savons cependant que de telles manifestations de violence ne peuvent être attribuées à la religion en tant que telle, mais aux limites culturelles avec lesquelles elle est vécue et se développe dans le temps. Quand, cependant, le sens religieux atteint sa maturité, il engendre chez les croyants la perception que la foi en Dieu, créateur de l’univers et Père de tous, ne peut pas ne pas promouvoir entre les hommes des relations de fraternité universelle. De fait, les témoignages d’un lien intime entre le rapport avec Dieu et l’éthique de l’amour sont visibles dans toutes les grandes traditions religieuses. Nous, chrétiens, nous nous sentons en cela confirmés et ultérieurement éclairés par la Parole de Dieu. L’Ancien Testament manifeste déjà l’amour de Dieu pour tous les peuples, qu’Il réunit, par l’alliance étroite avec Noé, dans une unique étreinte symbolisée par l’ « arc au dessus des nuées » (Gn 9,13.14.16) et qu’en définitive selon les paroles des prophètes, il entend rassembler en une famille unique et universelle (cfr. Is 2,2ss ; 42,6 ; 66, 18-21 ; Jer 4,2 ; Ps 27). Dans le Nouveau Testament ensuite, la révélation de ce dessein d’amour universel culmine dans le mystère pascal, dans lequel le Fils de Dieu incarné s’offre en sacrifice sur la croix pour l’humanité toute entière, dans un acte de solidarité salvifique bouleversant. Dieu montre ainsi que sa nature même est l’Amour. C’est ce que j’ai voulu souligner dans ma première Encyclique, qui commence par ces mots : « Dieu est amour » (1 Jn 4,7). Cette affirmation de l’Ecriture non seulement éclaire le mystère de Dieu, mais elle illumine également les relations entre les hommes, tous appelés à vivre selon le commandement de l’amour.
La rencontre promue à Assise par le serviteur de Dieu Jean-Paul II a mis opportunément l’accent sur les valeurs de la prière dans la construction de la paix. Nous sommes conscients, en fait, de l’ampleur de la difficulté du chemin vers ce bien fondamental et nous sommes parfois humainement désespérés. La paix est une valeur dans laquelle entrent tellement d’éléments. Pour la construire, les moyens culturels, politiques, économiques sont certainement importants. En premier lieu cependant, la paix doit être construite dans les cœurs. Là en effet, se développent les sentiments qui peuvent l’alimenter, ou, au contraire, la menacer, l’affaiblir, l’étouffer. Le cœur de l’homme est ainsi le lieu des interventions de Dieu. Par conséquent, à côté de la dimension horizontale des rapports entre les hommes sur ce sujet, la dimension verticale du rapport de chacun avec Dieu, dans lequel tout trouve son origine, se révèle également d’une importance fondamentale. C’est précisément cela que le pape Jean-Paul II a voulu rappeler avec force au monde avec l’initiative de 1986. Il a voulu demander une prière authentique, qui englobe l’existence entière. Il a voulu que cette prière soit accompagnée du jeûne et exprimée par un pèlerinage, symbole du chemin entrepris vers Dieu. Et il a expliqué : « La prière comporte de notre part la conversion du cœur » (Enseignements de Jean-Paul II, 1986, vol. II, p. 1253).
Entre les divers aspects importants de la rencontre de 1986, il faut souligner que cette valeur de la prière dans la construction de la paix fut attestée par les représentants des diverses traditions religieuses, et cela eut lieu non pas à distance, mais dans le contexte d’une rencontre. De cette manière, les priants des diverses religions purent montrer, avec le langage du témoignage, comment la prière ne divise pas mais unit, et constitue un élément déterminant pour une pédagogie efficace de la paix, centrée sur l’amitié, l’accueil réciproque, le dialogue entre les hommes de diverses cultures et diverses religions. De cette pédagogie nous avons plus que jamais besoin, spécialement en ce qui concerne les nouvelles générations. Tant de jeunes, dans les zones du monde marquées par le conflit, sont éduqués aux sentiments de haine et de vengeance, à l’intérieur d’un contexte idéologique dans lequel se cultivent les semences d’antiques rancœurs et où les esprits se préparent aux violences futures. Il faut abattre de telles barrières et favoriser la rencontre. C’est pourquoi je suis heureux que les initiatives programmées cette année à Assise aillent dans cette direction et que le conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, en particulier, ait pensé à en proposer une application destinée aux jeunes.
Pour qu’il n’y ait pas d’équivoque sur ce que Jean-Paul II, en 1986, voulut réaliser et que, selon une de ses propres expressions, on appelle l’esprit d’Assise, il est important de ne pas oublier l’attention qui fut mise alors pour que la rencontre interreligieuse de prière ne soit pas prétexte à des interprétations syncrétiques, fondées sur une conception relativiste. C’est pourquoi, dès le début, Jean-Paul II a déclaré : « Le fait que nous soyons venus ici n’implique aucune intention de rechercher un consensus religieux entre nous, ni de négocier nos convictions de foi. Il ne signifie pas non plus que les religions peuvent se réconcilier sur le plan d’un engagement commun dans un projet terrestre qui les dépasserait toutes. Et il n’est pas davantage une concession au relativisme des croyances religieuses… » (Enseignements, cit., p. 1252). Je désire confirmer ce principe, qui constitue le présupposé de ce dialogue entre religions tel que, il y a déjà quarante ans, le Concile Vatican II souhaitait dans la Déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes.
Je saisis volontiers l’occasion pour saluer les représentants des autres religions qui prendront part à l’une ou l’autre des commémorations d’Assise. Comme nous chrétiens, eux aussi savent que dans la prière, il est possible de faire une expérience spéciale de Dieu et d’en tirer des stimulants efficaces pour l’action en faveur de la paix. Il est tout autant nécessaire d’éviter des confusions inopportunes. Parce que, même quand on se retrouve ensemble pour prier pour la paix, il faut que la prière se développe selon chaque chemin, distinct et propre aux diverses religions. La convergence des différences ne doit pas donner l’impression de céder à un relativisme qui nie le sens même de la vérité, et la possibilité de l’atteindre. »
Par son initiative audacieuse et prophétique, Jean-Paul II a voulu choisir le cadre suggestif d’Assise, connu dans le monde entier pour la figure de Saint François. Le Poverello a incarné de manière exemplaire en effet la béatitude que Jésus a proclamée dans l’évangile : « Bienheureux les ouvriers de paix, ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5,9). Le témoignage qu’il a rendu en son temps fait de lui un point de référence naturel pour tous ceux qui, aujourd’hui encore, cultivent l’idéal de la paix, dans le respect de la nature, dans le dialogue entre les personnes, entre les religions et les cultures. C’est pourquoi il est important de rappeler aussi que nous célébrons, en même temps que ce vingtième anniversaire de l’initiative de prière pour la paix de Jean-Paul II, le huitième centenaire de la conversion de Saint François. Les deux commémorations s’éclairent l’une l’autre. C’est dans les paroles que le crucifié lui a adressées à Saint-Damien, - « va, François, répare ma maison… » -, dans son choix d’une pauvreté radicale, dans le baiser au lépreux où s’exprimait sa nouvelle capacité à voir et à aimer le Christ dans ses frères souffrants, que cette aventure humaine et chrétienne a pris naissance, elle qui continue à fasciner tant d’hommes de notre temps et fait de cette ville le terme de tant de pèlerinages.
C’est à vous, vénéré frère, pasteur de cette Eglise d’Assise-Nocera, que je confie- conclut Benoît XVI - le devoir de transmettre mes réflexions aux participants des diverses célébrations prévues pour commémorer le vingtième anniversaire de cet événement historique que fut la Rencontre interreligieuse du 27 octobre 1986. J’adresse à tous un salut affectueux, avec ma bénédiction, qu’accompagnent le souhait et la prière du Poverello d’Assise : « Que le Seigneur vous donne sa paix ! »
Castel Gandolfo, 2 septembre 2006
Synthèse du message: Benoît XVI
Sources: La Croix
http://eucharistiemisericor.free.fr/index.php?page=0409065_texte_integral