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Alors que s’ouvre la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens (18-25 janvier), les spécialistes soulignent la complexification de la scène œcuménique en France
Ils sont unanimes à dresser le constat d’un changement d’époque. Spécialistes et acteurs de l’œcuménisme savent que, derrière le retour annuel et désormais attendu de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens, qui s’ouvre aujourd’hui, la scène œcuménique française est en profond changement.
Des changements de fond qui s’inscrivent dans un paysage paisible. « En France, le dialogue est bon parce que les relations entre confessions chrétiennes sont bonnes, mais plus encore parce que nous avons le goût de travailler ensemble », souligne le P. René Beaupère, directeur du Centre Saint-Irénée à Lyon. Si le travail biblique ou caritatif des groupes locaux est souvent discret, si les discussions théologiques au niveau national ne font pas la une de l’actualité, c’est sur ce terreau que poussent, chaque année, les initiatives de la Semaine de l’unité.
Cette continuité n’empêche pas une profonde reconfiguration de la scène œcuménique. « Ce qui me frappe le plus, c’est la complexité de la situation aujourd’hui en France », explique le P. Michel Mallèvre, directeur du Service national pour l’unité des chrétiens de la Conférence des évêques de France. Une complexité croissante, qui s’explique par des causes diverses aux effets souvent convergents.
Des positionnements très différents coexistent
Il y a d’abord les évolutions liées à l’arrivée de croyants venus de l’étranger, qui modifie le paysage confessionnel français : protestants et catholiques venus du Sud, orthodoxes arrivant des pays de l’Est ou de Grèce, immigration britannique amenant de nombreux anglicans sur la façade ouest de la France… « Ce n’est plus nous qui exportons au Sud nos divisions, mais les Églises du Sud qui nous exportent de nouvelles formes d’Églises », souligne le P. Mallèvre. Les nouveaux arrivants ont souvent peu d’expérience œcuménique, et il faut parfois « recommencer le travail avec eux », remarque le P. Michel Evdokimov, responsable de la commission orthodoxe pour le dialogue interconfessionnel.
À cette diversité venue de l’extérieur, s’ajoute une diversité croissante au sein de chaque confession. Devant les questions posées par la sécularisation, c’est à l’intérieur de chaque Église que les réponses s’esquissent. Des positionnements très différents coexistent, qui vont du maintien de l’ouverture au repli identitaire et brouillent un peu plus la carte confessionnelle. « Comment faire l’unité avec un partenaire, lorsqu’on est soi-même traversé par de multiples courants qu’il faut ménager ? », interroge Michel Mallèvre.
En France, l’ouverture offerte par Rome aux intégristes n’est pas sans inquiéter les protestants : « Beaucoup sont inquiets, mais ils attendent de voir, témoigne le P. Beaupère. Ils seront vigilants, et nous avec eux, sur le respect des décisions de Vatican II sur l’œcuménisme et la liberté religieuse. » Le protestantisme français, très minoritaire, n’échappe pas non plus à de telles tensions identitaires. Le mouvement vers l’unité des chrétiens est marqué aussi, en France, par des données culturelles et sociologiques nouvelles.
Nombreux sont les groupes chrétiens qui privilégient le local
« L’œcuménisme va à contre-courant de la situation sociologique actuelle », diagnostique André Birmelé, professeur à la Faculté de théologie protestante de Strasbourg. Le changement des modes d’appartenance aux Églises, plus partiel, plus individuel, a un impact profond sur l’œcuménisme qui a été pensé dans le cadre d’Églises instituées et solides. « Comment faire l’unité des chrétiens par l’unité des Églises si les croyants ne lient plus leur “être chrétien” à telle ou telle Église ? », se demande le P. Michel Mallèvre.
Nombreux sont les groupes chrétiens qui privilégient le local et qui ont peu d’intérêt pour la dimension universelle de l’Église, qui porte l’œcuménisme. « En France, il existe des groupes pentecôtistes très éparpillés et qui n’ont aucune ecclésiologie supra-locale, relève André Birmelé. Ils ne se préoccupent pas d’établir des relations avec d’autres groupes de la même mouvance, a fortiori avec d’autres Églises. »
Face à cette mutation historique, les défis sont immenses. Mais la donne n’est pas que négative. « Cette nouvelle situation stimule l’œcuménisme sur le terrain, notamment avec les orthodoxes », souligne le P. Michel Mallèvre. Les spécialistes louent unanimement la bonne qualité du dialogue catholiques-orthodoxes français, dont les travaux participent à l’amélioration des relations entre Églises au niveau mondial. « J’ai connu un gel des relations œcuméniques, mais je n’en vois plus aujourd’hui », confirme l’archimandrite Joachim Tsopanoglou, recteur de l’église grecque-orthodoxe de Marseille. Le P. Michel Evdokimov remarque, lui, que « les phénomènes identitaires s’amenuisent » chez ses frères orthodoxes français : « Nous arrivons à une plus grande aisance. »
Les avancées spectaculaires du travail théologique
Un atout majeur de l’œcuménisme de demain réside dans les avancées spectaculaires du travail théologique. « Il ne faudrait pas que l’image bariolée de la scène confessionnelle laisse perplexe, et que ce qui est acquis sur le plan théologique de la foi commune soit effacé par le kaléidoscope actuel », insiste le P. Hervé Legrand, théologien spécialiste de l’œcuménisme.
Pour l’heure, l’œcuménisme français de demain n’est pas encore perceptible. Si les groupes œcuméniques constitués vieillissent, « il y a de multiples initiatives et demandes œcuméniques qui surgissent », témoigne le pasteur Gill Daudé, chargé des relations œcuméniques à la Fédération protestante de France. « Café théologique » œcuménique, marche entre croyants de différentes confessions, rencontres entre jeunes professionnels… Des initiatives « petites, précaires et disséminés », mais qui témoignent d’un intérêt œcuménique vivace.
Elodie MAUROT