Originaire du Rouergue, T. Pègues reçoit sa première formation au grand séminaire de Rodez; il entre ensuite au noviciat des dominicains. Trapu et massif, son physique est en harmonie avec sa pensée, entière, ennemie de l'équivoque et du compromis, en matière religieuse comme en matière politique. Il s'engage dans la défense de Diana Vaughan (L'Univers, 27 avril 1896), cette franc-maçonne convertie au catholicisme.
Maître en théologie, religieux d'une exemplaire fidélité à ses devoirs, il enseigne d'abord à Toulouse, puis à l'Angelicum à Rome (1909-1921), avant de devenir, après la guerre, régent des études au couvent de Saint-Maximin (1921-1927), qu'il doit quitter contre son gré en 1927, sur l'ordre de Pie XI, au moment de la condamnation de L'Action française. Il est alors assigné au couvent de Pistoia (1927-1935), puis à Rome, où il se retire au couvent Sainte-Marie-de-la-Minerve (1935-1936). C'est au cours d'un séjour à Dax qu'il est emporté par une brutale hémorragie cérébrale.
L'horizon intellectuel du P. Pègues a été clairement défini dans l'article antimoderniste qu'il donne en juillet 1907 dans la Revue thomiste, intitulé " L'hérésie du renouvellement " : " Puisque c'est en se séparant de la scolastique et de saint Thomas que la pensée moderne s'est perdue, notre unique devoir et notre seul moyen de la sauver est de lui rendre, si elle le veut, cette même doctrine ". Tel est l'axe dont il n'a jamais dévié, au point d'identifier la doctrine de saint Thomas avec l'enseignement de l'Eglise et de " majorer l'importance officielle " des 24 thèses thomistes approuvées en 1916 par la Congrégation des Etudes.
Son principal ouvrage, le Commentaire français littéral de la Somme théologique de Saint Thomas d'Aquin, comporte en 21 volumes publiés de 1907 à 1931 l'essentiel des thèses thomistes, à l'usage du grand public, bientôt complétées par un Dictionnaire de la Somme (1935) en deux volumes. Jusqu'au bout, il est convaincu du lien étroit entre le thomisme et les thèses politiques de Maurras : aussi encourage-t-il les ligueurs à la résistance après la condamnation en 1926, comme il avait défendu Maurras en 1914 contre les attaques des démocrates (sans nom d'auteur), "L'Action française et la religion catholique ", (Le bloc catholique, janvier 1914).
Les thomistes ne partagent pas tous l'interprétation du P. Pègues et son livre Initiation thomiste (1921) lui vaut, dans La Revue apologétique (t. XXXVI, 1er juin 1923, p. 303-308), une mise en gard du jésuite A. Riedinger qui s'élève contre l'asservissement de la pensée religieuse " à un Thomisme étroit que l'Eglise ne nous impose nullement ". La traduction italienne du livre (1927) provoque une réplique de la Civiltà cattolica (F. Gaetani, " Antitomisti e tomisti in un' opera recente ", 11 novembre 1927, p. 330-340), qui déclare sa surprise devant l'exclusivisme d'un auteur qui retranche de l'école thomiste des auteurs aussi prestigieux que Suarez, ainsi que les tenants du probabilisme, ou encore, parmi les théologiens plus récents, des personnalités aussi considérables que Taparelli, Liberatore, Kleutgen, Cornoldi, auxquels s'ajoutent les maîtres de l'Ecole napolitaine, Talamo, Pecci, Zigliara, jugés tout aussi dignes de figurer dans l'anthologie thomiste que les de Maistre, les Bonald ou les Lacordaire. Ces choix du fougueux dominicain fondent au contraire l'estime dont l'entourent néo-thomistes et partisans de l'école d'Action française, qui voient en lui un ami, demeuré fidèle envers et contre tout, autant qu'un théologien d'une irréprochable orthodoxie.
Oeuvres :
Autour de saint Thomas, une controverse récente, Toulouse, E. Privat, Paris, Téqui, 1918; La Somme théologique de saint Thomas d'Aquin en forme de catéchisme pour tous les fidèles, Toulouse, 1920; L'autorité pontificales et la philosophie de Saint Thomas (Quelques mots de réponse au R.P. de Tonquédec), Toulouse, Privat, 1930
Témoignages et réflexions :
B. Combes de Patris, Le Père Pègues, Rodez, Imprimerie Carrère, 1936, 20 p. (un ami d'Action française) ; R. Garrigou-Lagrange, " LE T.R.P. Thomas Pègues ", Revue thomiste, Juillet-octobre 1936, p. 441-445; M.-D. Chenu "Le R.P. Pègues, O.P. ", Revue thomiste, XI-XII, 1934-1936, p. 893-895; Maurice Blondel-Auguste Valensin, Correspondance, 1912-1947, III, texte annoté par Henri de Lubac, Paris, Aubier, 1965, p. 100-104; Blondel-Wehrlé, Correspondance, commentaires et notes par Henri de Lubac, II, Aubier-Montaigne, 1969, p. 560-562.
Travaux :
DTC, Tables, col. 3543-3544; Catholicisme, t. X, 1985, col. 1068-1069; A. Laudouze, Dominicains et Action française, Paris, Editions ouvrières, 1989, p. 93-121.
Jacques PREVOTAT
Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine